Entrevista concedida pela Presidenta da República, Dilma Rousseff, ao jornal Le Monde (em francês)
13 de dezembro de 2012
Dilma Rousseff : « L’euro est un atout stratégique »
Pour la présidente du Brésil, la France a tout intérêt à nouer des partenariats avec les grands pays émergents
Entretien
A la fin de sa visite en France, mercredi 12 décembre, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, a accordé un entretien exclusif au Monde avant de partir pour la Russie.
Quel bilan tirez-vous de vos entretiens avec François Hollande?
Très productif. La France est face à un défi, relancer la croissance sans compromettre les acquis sociaux des décennies d’aprèsguerre et, en même temps, préserver un projet politique, économique et social fondamental, l'euro,
dont elle est l'une des garantes avec l’Allemagne. L´euro est un atout stratégique, mais il ne dispense pas de se tourner vers les pays émergents, surtout les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), dont les performances soutiennent l'économie mondiale.
Nouer des partenariats hors la zone euro est dans l’intérêt de la France. Des entreprises françaises réalisent au Brésil une part appréciable de leur chiffre d’affaires. La diversification de leurs investissements est extraordinaire, elles
sont présentes dans tous les secteurs stratégiques: automobile, pétrole, sidérurgie, chimie, défense, transports, énergie, chemins de fer, éthanol, médicaments... Les entreprises se portent mieux lorsqu'elles sont intemationalisées.
Le Brésil. pays de I'avenir?
Les entrepreneurs européens savent que ce sera le cas si nous investissons à la fois dans les infrastructures, les manufactures et les industries de transformation. Le défi que nous devons relever est la compétitivité, qui n'est pas une fin en soi. Si nous n'augmentons pas le taux d'investissement, nous n'atteindrons pas une croissance accélérée, capable de poursuivre l’inclusion sociale et l´élargissement du marché.
Sans l'allocation « Bourse famille »,le pays compterait 36 millions de Brésiliens vivant dans l'extreme pauvreté. Nous sommes parvenus à réduire cette dernière de moitié. Pour en finir, il faut viser maintenant les jeunes, car les aides précédentes ont privilégié les personnes âgées et les retraités, qui incluent désormais les ruraux, auparavant privés de pension.
Pourquoi Ia croissance du Brésil (1,2%) est-elle aussi faible?
Parce que nous sommes dans une phase de transition. La crise internationale a provoqué un ralentissement de l'économie brésilienne en juin 2011. Nous avons dû adopter des mesures structurelles, comme la réduction des taux d'intérêt. Pour la première fois depuis des décennies, ils se rapprochent de ceux du marché intemational. Cela a entraîné des changements de rentabilité. L´augmentation de l'investissement productif n’a pas encore remplacé la baisse des investissements financiers. Et la dévaluation artificielle des monnaies des pays développés a provoqué une valorisation du real brésilien, qui nous a été préjudiciable.
Le Brésil reste très inégalitaire...
Les inégalités sociales et territoriales ont connu depuis dix ans une diminution inédite, grace à une forte mobilité: 105 millions de Brésiliens intègrent désormais la classe moyenne [sur une population de 194 millions]. La redistribution du revenu a été impulsée par la hausse del'emploi, les augmentations salariales et le doublement du crédit, qui représente 52 % du produit intérieur brut (PIB). C'est un fait reconnu par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Maintenant, nous voulons surmonter les obstacles à la croissance par l´allégement des charges salariales, l'expansion du crédit (sans bulles), la dévaluation de la monnaie. L´investissement sur les infrastructures nécessite la participation du secteur privé. Ce 13 décembre est publié l'appel d'offres du TGV, deux blocs de pétrole en eaux profondes seront mis aux enchères en 2013, nous ouvrons les ports et augmentons la capacité des aéroports. Nous allons installer 15.000 km de voies ferrées.
L'avantage d'avoir lutté contre la pauvreté tout en respectant la stabilité macroéconomique, c'est que notre dette représente a peine 35% du PIB, notre déficit est en dessous de 2% et nos réserves s'élèvent à 378 milliards de dollars [289 milliards d´euros]. Nous sommes « blindés» contre les soubresauts intemationaux.
La dimension de notre marché, les opportunités en matière d'infrastructure et la force de notre industrie expliquent que le Brésil soit devenu l'un des principaux destinataires de l´investissement étranger direct — 66 milliards de dollars en 2011, 63 milliards les neuf premiers mois de 2012. Nous prévoyons une croissance d’au moins 4% en 2013.
Les Indiens du Brésil sont-ils en danger?
Beaucoup de barbaries ont été commises contre les Indiens au cours de l'histoire récente. Des conflits entre lndiens et petits agriculteurs sont récurrents. C´est une guerre déplorable, car elle oppose les pauvres et les démunis. Lorsque la justice tranche, les forces de l'ordre interviennent pour rétablir les droits des Indiens sur leurs terres.
La question est complexe, car il y a differents types de relations entre les Indiens et la société brésilienne.
Certains n'ont plus de liens tribaux, ils adoptent toutes nos habitudes de consommation, la voiture, le pantalon, les baskets, alors qu'ils vivent dans une pauvreté extrême. D'autres restent isolés, et il faut plutôt éviter le contact, les protéger de nos maladies, de nos virus et de nos vices, notamment l'alcool. C'est un défi de civilisation: respecter la culture des uns pour ne pas les corrompre, faire des autres des citoyens à part entière, favoriser leur accès à la santé et à l'alimentation, créer parfois des écoles indigènes, et assurer leur sécurité.
Le barrage de Belo Monte est-Il une menace pour l'Amazonie?
Il n'ya pas d'Indiens à proximité de l'usine hydroélectrique. Les plus proches sont à 70 km. Les eaux ne couvriront pas leurs terres. Tous les audits publics ont été réalisés pour préserver l´environnement, auquel nous sommes très attachés. Depuis 2004, la déforestation a été ramenée au minimum.
Outre notre matrice énergétique, cela explique que nous allons anticiper les objectifs de réduction des gaz à effet de serre - entre 36 % et 39 %. Nous regrettons que la récente conférence de Doha ne soit pas allée plus loin que le protocole de Kyoto. Il y a urgence à ce que la communauté internationale reprenne des engagements forts sur le changement climatique.
Après la France, vous visitez la Russie. Le sigle BRICS, inventé par un analyste de Goldman Sachs, représente-t-il vraiment quelque chose?
Les BRICS sont notre invention, pas celle d'un analyste de marchés qui a perçu l´émergence de pays continentaux. C’est la construction d'une volonté politique commune, malgré les différences entre nos pays. Nous avons tous connu des dominations ou des croissances difficiles, des misères et des inégalités. Les BRICS ont élevé le niveau de leurs sociétés et ont l'ambition de devenir des pays développés. Et je pense qu'un pays qui grandit économiquement et socialement finit par croître politiquement et démocratiquement.
Serez-vous candidate à la réélection en 2014?
J'ai deux ans de gouvernement intense devant moi. Ce n'est pas le moment de penser à ça. Ce serait placer la charrue devant les bœufs.
Propos Recueillis Par Paulo A. Paranagua
« Je ne tolère pas la corruption dans mon gouvernement »
La visite dé la présidente brésilienne Dilma Rousseff en France a été perturbée par lé rebondissement du scandale du mensalão (« grosse mensualité »), qui avait failli coûter sa réélection a son prédécesseur et mentor, Luiz lnacio Lula da Silva, en 2006.
Le principal opérateur des malversations, Marcos Valerio, condamné à quarante ans de prison par la Cour suprême, essaie d’impliquer l'ancien chef de l’Etat, blanchi par l'enquête. Mardi 11 décembre, le quotidien Estado de São Paulo a reproduit des propos de M. Valerio, qui cherche un verdict plus clémént, A l'én croire, l'ex-président aurait utilisé une part dé l'argént détourné pour son propre compte.
Institutions vertueuses
Mardi après-midi11 décembre, lors de la conférence de presse commune avec Francois Hollande à l'Elysée, la première question de la presse brésilienne concernait cette affaire, qualifiée de « lamentable » par Mme Rousseff: «Je refuse toutes ces tentativse; celle-ci n’est pas la première, pour ternir l'immense respect que le peuple brésilien porte au président Lula.»
Le Brésil parvient-il à endiguer la corruption? «Ce fléau touche tous les pays, a-t-elle dit au Monde. Ce ne sont pas les persones qui doivent être vertueuses mais les institutions. Lo societé doit avoir acces à toutes les données gouvernementales. Tous ceux qui utilisent des fonds publics doivent rendre des comptes. Sinon, la corruption sévit. Il faut être volontariste. Grâce aux nouvelles technologies, le Brésil o créé un ”Portail de la transparence” qui enregistre toutes les dépenses publiques, le jour même.»
Et d’ajouter: «Je ne tolère pas la corruption, et mon gouvernement non plus. S´ily a des soupçons fondés, la personne doit partir Bien entendu, il ne faut pas confondre ces investigations et la chasse aux sorcières propre aux régimes autoritaires ou d´exœption. Pour être candidatas à une élection, les Brésiliens doivent se conformer à la loi du casier judiciaire vierge (ficha limpa), ils ne peuvent avoir été condamnés. Le ministère public est indépendant, la police fédérale enquête, arrête et sanctionne. Et œlui qui a commencé cette nouvelle étape de gouvernance, c´est l´ancien président Luiz lnacio Lula da Silva.» P.A.P
Matéria na íntegra: http://www.lemonde.fr/international/article/2012/12/13/dilma-rousseff-l-euro-est-un-atout-strategique_1805505_3210.html?xtmc=dilma_rousseff&xtcr=2